ROMAN – EXTRAIT

Chapitre 1 — Imogène — Paris, octobre 2018

Ce matin, en buvant doucement son café dans sa grande et belle cuisine lumineuse, Imogène se sent triste et nostalgique. Elle pense à lui. Encore. Lui qui a pris une place tellement importante dans sa vie, et si vite. Cet hom­­me qu’elle a tant désiré. Si soudainement. Entièrement. Sans comprendre vraiment pourquoi. Pourquoi lui ? Pourquoi à ce moment précis ? Il est réapparu dans sa vie sans préavis. Comment a-t-elle pu éprouver des sentiments si forts de façon si inattendue ? Elle a beau se répéter que le cœur a ses raisons… En l’occurrence sa raison, là, ignore vraiment ce qui a pu se passer. Cette histoire avec lui, qui n’en est même pas vraiment une, est tellement irrationnelle !

Lui, c’est Logan. Et avec Logan, c’était tout sauf fluide ! Mais Logan, c’était aussi une histoire tellement différente des autres… Un lien étonnant et unique qu’Imogène n’a jamais su définir, mais qui les a suivis pendant de longues années. Une relation compliquée que personne dans son entourage n’a jamais vraiment comprise. Beaucoup de ses amis et amies ont pensé qu’elle en faisait trop. Pour rien. Alors elle a fini par se taire et garder ses sentiments pour elle, lasse de devoir les justifier.

— Mais cette histoire n’en est pas une, Imo, passe à autre chose, lui avait répété maintes fois Lara, sa meilleure amie qui ne comprenait absolument pas la difficulté que l’on peut avoir à laisser un homme derrière pour s’ouvrir à d’autres.

Sauf que oui, Imogène savait qu’elle devait passer à autre chose, elle savait que tout cela ne mènerait nulle part. Et c’est ce qu’elle avait fini par faire, le cœur serré, triste et déchiré.

Elle pensait ne jamais s’en remettre. Cela lui prit des mois à remonter de cette déception sentimentale, mais elle a malgré tout continué d’avancer, essayant d’oublier son chagrin, sa plus grande peine amoureuse à ce jour.

Leur histoire… Belle, triste, atypique, originale… Imo ne sait plus quel adjectif la caractérise le mieux. De toute façon, peu importe, puisque c’est fini ! Tout, ou du moins certains signes, laissaient présager une fin magique, l’apothéose de leur amour. Et pourtant, rien.

Assise dans sa cuisine, la jeune femme observe sans vraiment y penser les gens pressés en route pour le travail. Elle aurait tant aimé qu’un jour Logan vienne la voir ici, à Paris, afin de découvrir son quotidien et sa ville. Il y avait mille choses qu’elle avait imaginé lui faire découvrir.

****

Leur rencontre remonte à si longtemps, il y a eu tellement de désir, d’attraction, d’intimité et de complicité entre eux, mais c’est comme si le timing n’avait jamais été de leur côté.

Cette jeune femme passionnée n’a pas compris pourquoi cette histoire avait pris tant d’ampleur. Puis un jour, elle a pris une décision radicale, difficile, à laquelle elle a résisté jusqu’au dernier moment. Elle savait, dans son cœur, que c’était nécessaire. Après des semaines de non-dits, de messages ambigus, un jour, en rentrant de sa course à pied du soir, elle y avait vu clair. C’était insensé de prolonger sa tristesse dans l’espoir vain d’un ultime déclic. Elle avait décidé sans se laisser trop de temps pour réfléchir. Avant d’entrer dans sa douche, pour ne pas avoir l’opportunité de changer d’avis, elle avait écrit ce message qui avait pour but de tirer un trait définitif sur leur histoire.

Imogène est passée par toutes les phases après cet envoi : la fierté et un profond sentiment d’avoir fait le bon choix, l’envie brûlante de faire marche arrière, le regret, puis le lâcher-prise. Finalement, ce qui l’a emporté parmi toutes ces émotions, c’est la nécessité de son geste. Pour elle et pour son bien-être. Pour aller de l’avant. Pour vivre pleinement à nouveau et parce qu’elle méritait autre chose. Elle, éternelle amoureuse de l’amour, aspirait à mieux, elle souhaitait une véritable histoire d’amour.

Son seul regret était que leur amour n’ait jamais eu de réelle chance. Mais elle est fière d’avoir tout tenté et d’avoir suivi son cœur. Peu importe la finalité, elle s’est toujours félicitée d’avoir donné l’opportunité à leur histoire d’exister, de se concrétiser enfin, après tant d’années.

En trempant ses lèvres dans son café, qui a légèrement refroidi, Imogène balaie ce souvenir de son esprit, heureuse d’avoir repris le dessus et de recommencer à profiter pleinement de la vie. Elle avait commencé à se remettre au sport plus intensément, notamment à la course, une source d’équilibre presque vitale pour elle, source qu’elle avait pourtant délaissée. Elle s’était aussi remise à sortir. Outre les nouvelles expositions, elle acceptait beaucoup plus d’invitations venant d’amis. Elle avait relancé les soirées avec son équipe de travail deux fois par mois ; elles consistaient à faire une activité qui les poussait, avec ses employés, à sortir un peu de leur zone de confort. Elle avait repris le rythme régulier de ses rencontres avec Lara et Yassine, ses meilleurs amis. Et elle s’ouvrait même tout doucement à l’éventualité de laisser entrer un nouvel homme dans sa vie.

Son café terminé, cette entrepreneure à l’allure naturelle, mais chic, se lance dans sa séance de yoga matinale à laquelle elle déroge rarement tant cette pratique la dynamise. Elle sent que son niveau d’énergie a nettement remonté ces derniers temps. Elle sait que le plus dur dans cette histoire est passé et que c’est maintenant le début d’un renouveau pour elle.

Ne rien laisser paraître lui a pris une sacrée dose d’énergie. Mais c’est dans son tempérament, elle n’est pas du genre à s’ouvrir à tous et à divulguer sa vie privée aux autres, encore moins dans le cadre professionnel. Alors à part Lara et Yassine, ses amis les plus proches, personne n’a vu la tristesse qui l’a habitée tous ces mois. Imogène est extrêmement douée pour donner le change et cacher ce qui ne va pas.

Elle se félicite d’avoir malgré tout continué à aller de l’avant dans sa carrière, qu’elle a toujours menée brillamment de front. Sa plus grande fierté, c’est l’ouverture de sa propre galerie d’art en plein quatrième arrondissement de Paris ; une galerie florissante qui commence à se faire un nom à l’international et qui organise des expositions très prisées. Après avoir conquis Paris, elle s’apprête à s’ouvrir les portes de l’Europe avec un projet en cours de négociation.

Imogène, cette femme si fragile à l’intérieur, et pourtant si forte, se sent digne. Elle refuse de le cacher et de jouer à la fausse modestie. Il a fallu en braver, des épreuves, pour arriver là où elle se trouve ! Elle n’a pas compté les nuits blanches à travailler sur la stratégie de positionnement de sa galerie ou sur son bilan financier prévisionnel.

Ensuite, elle a dû convaincre ! Convaincre les banques que son projet était viable, puis convaincre le milieu artistique qu’elle avait sa place. Elle a toujours écarté le sentiment de non-légitimité qu’on a très souvent voulu lui faire porter. Elle revoit très bien sa première rencontre avec la propriétaire d’une galerie d’art à qui elle avait souhaité demander des conseils. Après plus de vingt ans dans le métier, cette femme s’était adressée à elle avec une attitude condescendante qui aurait pu en faire reculer plus d’une, laissant entendre à Imogène qu’il y avait peu d’élus sur la scène artistique parisienne et qu’avec son parcours, il valait mieux qu’elle renonce. Mais plutôt que de la pousser à abandonner son rêve, l’effet avait été tout autre. Cela lui avait insufflé une dose de motivation supplémentaire.

Imogène avait sa place et elle le savait ! Son talent et son œil artistiques parlaient d’eux-mêmes et lui ouvriraient les portes. C’est d’ailleurs ce qu’elle avait répondu à cette propriétaire de galerie hautaine, avec un aplomb qui l’avait surprise, tout en se félicitant de sa répartie.

Son caractère fort lui a toujours permis de surmonter les épreuves, non pas que celles-ci ne l’éprouvent pas, au contraire. Mais Imogène trouve toujours en elle cette capacité d’aller de l’avant et de ne pas se laisser abattre. Même dans les moments les plus difficiles, cette entrepreneure met un point d’honneur à se relever et à continuer d’avancer.

— Je te vois comme un phœnix ! 

— Quoi ?

— Un phœnix. Toi ! C’est à ça que tu me fais penser. Tu renais toujours de tes cendres pour voler encore plus fort. Encore plus loin.

— Oh Lara, merci ! Mais tu sais, je fais ce que je peux et j’ai juste à cœur d’atteindre les objectifs que je me fixe.

— Imo, tu es un phœnix. Vraiment.

C’est ce que Lara, sa meilleure amie, lui avait dit lors d’une soirée apéritif un vendredi soir, alors qu’elles se parlaient de leur vie et de leurs défis du moment. La comparaison l’avait marquée et touchée, surtout venant de Lara, son amie la plus proche et ancienne employée qui menait une vie un peu décousue, mais remplie d’aventures. Elle semblait n’être effrayée de rien, ce qui impressionnait beaucoup Imogène.

Imogène ne s’en vante pas, mais elle aime ce trait de caractère, cette résilience qu’elle tient de ses pères.

Après sa séance de hatha yoga, puis être passée quelques minutes devant sa penderie, cette belle femme à la silhouette souple opte pour un kit de base : jeans, t-shirt et petite veste chic. C’est ce qui la représente le plus. Ce matin, elle va retrouver Yassine, son meilleur ami depuis de longues années, pour un petit café avant d’aller travailler.

  • 8 h 15 !

Elle enfile une paire de chaussures plates, beaucoup plus adéquates pour la grande marcheuse qu’elle est, son manteau et ses gants, car l’hiver est frais ces temps-ci, et elle referme la porte de son spacieux appartement du 13e arrondissement.

— Hey Yass ! Je pars. Ne sois pas en retard !

— Salut Bella, tu me connais.

— Oui justement !

Quand elle arrive dans ce café proche du parc Monceau, leur endroit favori pour se retrouver, avec sa déco chaleureuse et remplie de plantes, il est déjà là, à sa grande surprise.

— Qu’est-ce qu’il t’arrive ce matin ? Je ne t’ai jamais vu aussi matinal.

— Quoi ? Je vois pas de quoi tu veux parler, sourit-il.

— Alors, comment vas-tu ?

— Je vais bien. Et toi ?

— Non sérieusement… Comment vas-tu ?

— Vraiment Yass, je vais bien, je te promets. J’ai repris le dessus. Logan, c’est de l’histoire ancienne.

— OK je suis content de l’entendre ! Tu sais, ça ne servait à rien de courir après lui, il ne te méritait pas.

— Je n’ai pas couru après Yass, tu le sais, seulement j’avais très envie que ce soit lui. C’est tout. Et je suis OK avec ça maintenant. J’avais besoin de temps pour digérer ma peine.

— C’est bien que tu sois passée à autre chose ! Je t’attendais pour commander, tu veux quoi ?

— Je vais prendre un chaï latté.

Il se lève pour commander et revient avec son thé chaï et un expresso pour lui. Quand il s’assoit, Imogène lui lance :

— Bon, et toi, tu es sur quel mandat en ce moment ?

— Oh la la, c’est chaud en ce moment !

— Chaud positif, du style on a rentré plein de contrats ou chaud c’est le bordel ?

Il sourit :

 — Chaud les deux ! L’agence est très demandée, on a fait pas mal de belles campagnes publicitaires, mais j’ai beaucoup à faire et du coup je suis sous l’eau.

En tant que responsable grands comptes dans le département marketing d’une grosse agence, Yassine gère une équipe d’une quinzaine d’employés et c’est lui l’intermédiaire avec les clients. Il a beaucoup de responsabilités, de stress et d’échéances quasi irréalistes à atteindre. Son calme apparent et sa maîtrise de soi sont toujours étonnants. Débordé ou pas, il donne toujours l’impression de tout mener de front en restant serein, avec un grand professionnalisme.

— Je ne compte pas les heures Bella, mais c’est la vie d’agence. Je savais dans quoi je m’engageais quand j’ai signé.

Bella, c’est le surnom que lui donnent certains proches. Elle ne se rappelle plus vraiment d’où il vient, à part que c’est Yassine qui l’a lancé un jour et qu’il est resté. Surnom que Yassine lui donne 95 % du temps. S’il ne le fait pas, c’est qu’il s’apprête à aborder un sujet sérieux avec elle. Il prononce alors son prénom, Imogène, sur un ton très solennel qui les fait toujours beaucoup rire après la discussion.

****

Sur son vélib — car malgré les basses températures, Imogène aime rester active — son café avec Yassine lui a laissé un sourire radieux sur les lèvres qui lui va à ravir. Il sait toujours lui remonter le moral et la faire rire. Elle est tellement fière aussi de son ami, qui a un potentiel incroyable dans tout ce qu’il entreprend, et se sent choyée de le compter comme confident. Il la comprend comme personne. Il sait toujours la faire parler et sent immédiatement quand elle ne lui dit pas tout. Leur amitié est tellement précieuse !

Ils se sont rencontrés au collège et ne se sont plus quittés depuis. Après une brève aventure dans leurs années au lycée, ils ont décidé d’un commun accord qu’ils étaient beaucoup mieux amis qu’amants.

Quand Imogène arrive à la galerie, tout y est calme, car c’est une période de transition entre deux expositions. Ces moments intermédiaires sont rares tant le roulement des vernissages est fréquent. C’est le dynamisme qu’Imo a voulu lui insuffler dès son lancement.

Elle rejoint immédiatement l’espace bureau à l’étage où Matthieu, son assistant, et Aïcha, sa gestionnaire des relations publiques, travaillent déjà.

— Bonjour, bonjour ! lâche-t-elle de bonne humeur. Comment allez-vous ?

— Bien merci et toi ? répond son équipe en chœur.

— Ça va super ! Des urgences ce matin ?

— Rien à signaler, lui dit Matthieu, mais on se voit à 11 heures comme prévu ? J’ai besoin de ton retour sur l’expo de mars.

— Oui ! C’est noté dans mon agenda. À toute !

La jeune entrepreneure s’installe dans son bureau, légèrement à l’écart de l’open space où sont installés Aïcha et Matthieu, de façon à pouvoir fermer sa porte et s’isoler du bruit des visites de la galerie lors d’appels ou de réunions. Une magnifique photo prise depuis le fameux parc Güell, à Barcelone, trône sur le mur en face d’elle. Elle l’a achetée en Espagne pour la beauté de l’image et parce qu’elle lui faisait penser à ses pères. Cette image la plonge un instant dans ses souvenirs…

Imogène a grandi avec deux pères sans savoir lequel des deux est son géniteur. D’ailleurs, elle ne souhaite pas le savoir ; elle les aime trop tous les deux et cette information ne changerait rien pour elle. L’un comme l’autre lui ont toujours appris à garder la tête haute, à voir le bon côté de chaque situation et à suivre ses rêves.

Ses deux parents hors du commun lui ont beaucoup appris sur la vie et lui ont aussi transmis cette passion pour l’entrepreneuriat. Fervents investisseurs, ils ont bâti peu à peu leur patrimoine en misant sur l’immobilier. Pas trop de biens, mais juste ce qu’il faut pour se permettre une belle retraite anticipée à 50 ans sous le soleil de l’Espagne, à quelques kilomètres de Barcelone. Leur maison est à deux pas de la plage. On peut dire qu’ils coulent une vie vraiment tranquille là-bas !

Imogène va les voir régulièrement. Ses pères sont ses meilleurs conseillers pour son entreprise et sa vie en général. Elle adore passer du temps avec eux. Ces moments en famille sont précieux pour elle et lui permettent de se ressourcer au contact de l’air marin, sous le soleil d’Espagne. Se reconnecter à la nature est un véritable moteur pour elle, cela lui fait toujours un bien fou. C’est là qu’elle prend le recul nécessaire, qu’elle pense au futur et bâtit ses plans d’action. Quoiqu’elle planifie, elle s’assure toujours que cette direction lui apporte joie et satisfaction avant de l’emprunter.

Oh, elle en a versé des larmes, pour Logan, sur cette jolie plage ibérique ! Et elle a repassé mille fois dans sa tête ce scénario romantique où il viendrait la rejoindre ici…

Imogène est aussi forte et solide dans la gestion de sa galerie qu’elle est à fleur de peau comme éternelle romantique, ce qu’elle assume pleinement.

Quand elle n’est pas en Espagne chez ses parents, elle leur parle régulièrement. Pourtant, elle leur a peu parlé de Logan. Au début oui, puis elle leur a dit qu’elle avait besoin de passer à autre chose et que c’était mieux si le sujet n’était plus abordé. Ils avaient respecté son choix, déçus pour elle, mais lui disant que si ce n’était pas lui le bon, c’est qu’elle était destinée à trouver mieux, qu’elle pourrait vivre une histoire d’amour encore plus belle.

Ses pères, quant à eux, s’étaient rencontrés à la fin de leur vingtaine et vivaient, depuis, un amour profond et complice. Leur vie était simple, mais heureuse, faite de petits bonheurs et du plaisir d’être ensemble. Pouvoir désormais choisir de vivre chaque journée à leur guise était la cerise sur le gâteau de leur épanouissement personnel. Disons qu’Imogène savait à quoi pouvait ressembler une magnifique histoire d’amour…

****

Assise devant son ordinateur, la jeune femme revient au moment présent, attache ses longs cheveux noirs dans un chignon ébouriffé très approximatif — coiffure qu’elle affectionne — et se sent prête pour s’attaquer à la multitude de tâches qui l’attendent. On pourrait penser qu’elle a réussi avec sa galerie d’art et qu’elle en profite maintenant pour déléguer et se détendre, mais c’est loin d’être le cas. En grande professionnelle et travailleuse acharnée qu’elle est, ses journées sont toujours bien occupées. Son niveau d’exigence est élevé ; Imogène vise toujours l’excellence dans sa carrière. C’est parfois fatigant pour elle et aussi pour son équipe, elle en est consciente, mais c’est ce qui fait que la cote de la Galerie M.O. est ce qu’elle est aujourd’hui.

Avant de se lancer, elle prend deux minutes pour envoyer un message texte à son ami.

IMOGÈNE : Yass, je décide officiellement aujourd’hui de passer à autre chose, ça y est, il est plus que temps, écrit-elle en souriant.

YASS : Enfin tu m’écoutes !

Elle l’imagine tout à fait, un grand sourire aux lèvres, pas peu fier en tapant sa réponse.

IMOGÈNE : Oui, j’en voulais aux autres hommes de ne pas être Logan. Mais finalement, il n’est peut-être pas le seul homme au monde pour moi.

YASS : C’est ça que je rêve de t’entendre dire depuis des mois ! Oui !! Laisse tomber ce gars, il ne sert à rien.

IMOGÈNE : Considère que c’est fait ! On va courir ensemble samedi ?

YASS : Yep ! Je suis partant ! Bonne journée Bella.

Il est déjà 10 h 30, c’est rare que l’entrepreneure débute sa journée de travail aussi tard, il est donc grand temps de mettre les bouchées doubles. Elle commence par consulter ses courriels pour répondre aux plus urgents. Elle revoit ensuite les détails de son calendrier d’expositions pour l’année prochaine. Rendue au début décembre, elle est vraiment en retard cette année, mais elle est néanmoins rassurée, car la structure et la logistique globales sont bien planifiées, il ne reste que quelques détails mineurs à ajuster.

Imogène a une équipe vraiment efficace qui sait prendre le relais. Au lieu de s’en vouloir, elle décide de s’accorder un peu de la bienveillance dont elle aime tant couvrir les autres. Les circonstances des derniers mois ont un peu ralenti sa productivité. Elle sait que l’année professionnelle qui arrive sera belle malgré tout. Elle a vraiment de beaux artistes sur la liste ! Des quatre coins du monde en plus ! Cette facette internationale de M.O. lui tient vraiment à cœur. Ça promet d’être une année excitante !

****

Imogène est une femme d’affaires à qui tout semble réussir. Son succès ne relève cependant pas du hasard ; elle a beaucoup travaillé pour en arriver là, en ne partant de rien. Elle en connaissait peu sur le milieu artistique avant d’assister, un peu par hasard, à un vernissage. Invitée par une de ses amies, étudiante comme elle à l’université, elle avait eu un véritable coup de foudre pour l’art.

Cette soirée avait complètement bouleversé sa vie, tel un déclic, et remis en question les études d’économie qu’elle suivait. Elle s’était sentie appelée et avait intuitivement su que c’était là la voie qu’elle devait prendre. Alors qu’elle avait choisi l’économie un peu à défaut de ne pas trop savoir quel cursus suivre, Imogène avait compris ce jour-là que c’était dans le milieu artistique qu’elle évoluerait. C’était devenu son objectif premier et elle n’en a jamais dévié depuis.

Elle avait tout de même terminé sa deuxième année d’études en économie. À quelques mois de la fin, cela aurait été dommage d’abandonner. Cela lui permettrait d’avoir un diplôme à mettre sur son CV, ce qui lui servirait peut-être un jour. Et puis, les derniers mois d’études avaient été largement consacrés à penser et à organiser son projet de galerie d’art en parallèle.

Dès l’obtention de son diplôme, Imogène avait pris une année sabbatique pour partir aux États-Unis, à New York. Cela faisait aussi partie du plan, combiné à un rêve qu’elle tenait à concrétiser. Le but de sa démarche était très clair : parfaire son niveau d’anglais, car elle avait déjà des vues de collaborations internationales pour sa future galerie, et travailler pour mettre de côté l’argent nécessaire à son ouverture dès son retour en France.

Elle y avait toujours cru, sans l’ombre d’un doute. Elle ouvrirait une galerie d’art en plein Paris, dans un beau quartier. Cela ne se passerait pas autrement ! Elle savait qu’une localisation moins prisée lui aurait beaucoup facilité ses débuts, mais elle n’avait voulu faire aucun compromis sur son objectif.

À son retour de New York, avec suffisamment de dollars convertis en euros en banque, elle avait trouvé le local parfait, persuadé les financiers de la viabilité de son projet et su s’entourer des bonnes personnes. Sa galerie avait littéralement décollé en quelques mois. Le bouche-à-oreille avait propagé la nouvelle de façon incroyable. Après sa soirée d’inauguration, les opportunités et les articles s’étaient bousculés. Et c’est ainsi que son rêve était devenu réalité, soigneusement peaufiné pendant près de deux ans. Elle ne s’attendait cependant pas à un succès aussi fulgurant, mais en était ravie et savourait chaque instant.

****

19 h. Imogène décide que la journée est finie. Elle a été productive. Les souvenirs de Logan s’effacent petit à petit de sa mémoire. Ou du moins, ils ont moins refait surface.

Elle s’est laissée aller à penser à lui une seule fois aujourd’hui, se revoyant main dans la main avec cet homme qui lui faisait tant d’effet alors, au retour de leur balade dans le quartier de Soho. Ils avaient beaucoup marché et tellement parlé cette journée-là !

Au retour, leur désir l’un pour l’autre devenait intenable. La montée des deux étages vers l’appartement de Logan avait été ponctuée d’arrêts dans les escaliers où, tour à tour, ils se jetaient l’un sur l’autre. Leur bouche ne cessant de se chercher et leurs mains parcourant leurs corps brûlants d’une envie si puissante.

Heureusement, ils n’avaient croisé personne, ni dans les escaliers ni dans le couloir. Arrivés dans l’appartement, ils avaient à peine pris le temps de se déshabiller et avaient fait l’amour dans l’entrée avec une passion sauvage.

Plongée dans ses pensées, se remémorant cet instant, Imogène éprouva malgré tout beaucoup de gratitude d’avoir eu la chance de vivre une si belle aventure, puis reprit ses esprits.

Tandis que la journée se termine, elle ne peut toutefois s’empêcher de songer, alors que son corps tonique se penche sur le bureau pour attraper la pochette afin d’y ranger son ordinateur portable :

Cette relation a-t-elle valu la souffrance qui s’en est suivie ? Peut-être…

Distraite, elle place son ordinateur dans son sac noir, descend les escaliers en éteignant les dernières lumières de la galerie, vide, et part rejoindre Lara pour un dîner au restaurant.

Chapitre 2 — Logan — New York, avril 2007 — Première rencontre

Dix ans plus tôt. Alors que la nuit tombe doucement sur Brooklyn, Logan se dit qu’il est presque temps de se préparer pour sa mission du soir. Il est satisfait d’avoir trouvé ce poste dans la restauration en événementiel pendant qu’il poursuit ses études de commerce international. L’école ne coûte pas trop cher, alors ce travail lui permet de rembourser les frais de scolarité tout en en ayant assez pour vivre à côté. C’est assez bien payé et surtout, cela lui offre la possibilité d’avoir un emploi du temps flexible.

Ce jeune homme châtain clair, grand et à la carrure musclée est appelé à travailler en fonction des missions qui entrent. Il peut ensuite accepter ou décliner selon ses disponibilités. Cela lui convient parfaitement. En période de révisions et d’examens, il lève le pied pour en prendre un peu plus pendant les phases plus calmes de ses études.

L’hôtellerie n’est certainement pas le job de ses rêves, mais cela lui ouvre les portes d’endroits luxueux et il prend plaisir à retrouver certains collègues et à en rencontrer des nouveaux au fil des missions. Son environnement de travail est assez agréable, il le reconnaît. Les équipes et les lieux de travail ne sont jamais les mêmes. Certes, cela nécessite une belle capacité d’adaptation, mais permet aussi d’éviter la routine.

Ce soir, Logan se prend la tête entre les mains sur son bureau et frotte sa barbe dans un geste répétitif qui lui est propre ; il est en grande réflexion. Sa petite chambre est tout juste assez grande pour contenir le strict minimum : bureau, armoire et lit double. Il est un peu fatigué, les examens approchent. Ce jeune homme motivé a beaucoup révisé, s’est souvent couché tard et levé tôt pour être prêt. C’est un étudiant sérieux et ambitieux au regard parfois sombre. Réussir sa vie professionnelle revêt une extrême importance à ses yeux, alors il ne manque pas de motivation.

Assis à son poste de révision, il aime observer les photos qu’il a accrochées au mur, toutes prises à New York, certaines avec ses amis, sa famille, la plupart ayant pour sujet la ville et ses multiples scènes de vie toujours animées. Il adore photographier ce genre de paysage, c’est une passion qui le détend, lui permet de ralentir et d’observer comme un spectateur la vie qui se déroule devant lui.

Son regard s’arrête sur une photo prise à Central Park, devant la fontaine ; c’est l’endroit où il préfère se retrouver. Ses yeux se tournent ensuite vers son manuel de cours, dont il feuillette les pages machinalement en se demandant si cela sert encore à quelque chose de réviser.

Ayant grandi dans une famille très modeste avec des parents aimants, mais qui n’ont pas fait d’études, il les a vus lutter certains mois pour s’en sortir financièrement ou pour trouver du travail, alors il s’est toujours promis de faire de belles études dans l’espoir d’avoir une vie un peu plus facile qu’eux, mais aussi pour pouvoir les soutenir financièrement à leur retraite.

Ce jeune homme athlétique est décidé à obtenir son diplôme avec mention afin de décrocher un bon poste dès qu’il sortira de l’école. Il est à jour dans ses révisions, même si parfois il se dit qu’il pourrait en faire plus, et il sait qu’il s’est très bien préparé. Le planning d’étude qu’il s’est fixé lui permettra d’être à son meilleur le jour des examens. Il est structuré et discipliné, personne ne pourrait le nier !

Néanmoins, il a accepté de travailler ce soir parce que certaines dépenses imprévues ce mois-ci font qu’il a besoin de renflouer un peu son compte en banque. De plus, il ne s’agit que d’une mission de quatre heures. Quatre petites heures et il sera de retour chez lui, dans sa colocation de Brooklyn souvent désorganisée, mais où l’ambiance est toujours détendue, avec Ted, son meilleur ami.

Logan regarde le cadran de son réveil sur sa table de nuit. Il doit partir dans trente minutes, c’est le moment de se préparer et de revêtir l’uniforme que requiert ce genre de soirée : un pantalon noir et une chemise blanche, tenue qui va à merveille avec son allure gracieusement ténébreuse.

Il se félicite d’avoir toujours au moins deux chemises repassées dans son armoire, ce qui lui permet, comme ce soir, de ne pas être pris au dépourvu à la dernière minute, à devoir improviser une petite séance de repassage.

 ****

Ce soir, dans la cuisine d’un hôtel privé de luxe qui reçoit les grands dirigeants d’une entreprise de télécommunication, Logan réfléchit alors qu’il nettoie ce qui lui paraît être la centième assiette de son service. Il se demande ce qui se passera après ses études :

Est-ce que je trouverai un travail rapidement ? Vais-je décrocher un poste stimulant dès mes premiers pas dans la vie professionnelle ou devrais-je gravir les échelons peu à peu pendant quelques années ?

Il réfléchit à la meilleure stratégie à adopter afin d’obtenir un stage de fin d’études attrayant dans une grande entreprise, car il sait que c’est ce qui lui ouvrira des pistes intéressantes. Il a fait la liste des sociétés chez qui il aimerait être embauché. Il lui reste encore une session de cours après celle-ci et ce sera le temps d’envoyer ses candidatures. Il a déjà commencé à travailler dessus.

Est-ce que je devrais… ?

Perdu dans ses réflexions, il entend soudain une voix enjouée lui dire :

— Salut !

Il relève la tête et c’est à ce moment qu’il la voit pour la première fois. Ce regard ! Cette beauté ! Il se sent immédiatement perdre pied tellement tout, en elle, l’attire.

Maladroitement, il répond en souriant :

— Euh… salut.

— Bon je file, je dois retourner en salle, bon courage pour la vaisselle !

Et en l’espace de deux secondes, cette jeune femme incroyable est déjà repartie, comme elle est arrivée, le laissant complètement déboussolé face à ses assiettes sales. Il sent l’eau tiède qui coule encore sur ses mains fermes et viriles, mais tremblantes à cause de l’interaction qui vient d’avoir lieu.

Logan se demande tout bas :

Qu’est-ce qui vient de se passer, là ?

Soudainement, dans cette cuisine moderne, mais sombre, qui contraste avec le luxe très apparent de la salle de réception, il se sent dérouté. Il sait intuitivement que ce n’est pas une rencontre anodine. Il sent qu’il vient de se passer quelque chose, mais il est incapable de mettre des mots dessus. Cela lui semble irréel. Son corps frissonne. Il n’arrive plus à penser à autre chose qu’elle !

Heureusement que sa tâche de vaisselle, éponge à la main, est automatique, car c’est de plus en plus difficile pour lui de se concentrer. Cette fille qu’il n’a jamais vue avant ce soir ne quitte plus ses pensées.

Logan veut absolument en savoir plus sur elle. Elle dégage tellement… tellement tout ! Il a ressenti une énergie incroyable à son contact. Il n’a plus qu’une idée en tête : se rapprocher d’elle. Lui parler. La connaître. Et être plus loquace que ce « salut » débile qu’il a balbutié.

Le service terminé, Logan est affecté au rangement du matériel dans le camion avec trois autres employés. Cette fille, qu’il n’en revient pas d’avoir croisée, ne fait malheureusement pas partie des trois désignés.

Puis, la fin de la mission arrive, leur chef d’équipe les réunit tous dans la cuisine pour les féliciter du travail accompli :

— Bravo la team, beau travail ce soir, le client est super satisfait ! Tout le monde a passé une belle soirée. Merci à tous et à toutes ! Maintenant, rentrez chez vous et reposez-vous. On se revoit une prochaine fois ! Merci encore.

Elle est là, près du four gigantesque de la cuisine de cet hôtel majestueux. Il s’approche timidement d’elle. Logan ne sait pas où il puise ce courage, mais ce n’est pas vraiment le moment de s’arrêter sur ce détail. Le puissant désir de la connaître, qui habite tout son corps depuis plus d’une heure, est sans doute plus fort que sa peur.

— Ça a été, le service ? lance-t-il.

— Oui tranquille, ça s’est plutôt bien passé. Et toi, la vaisselle ? Tu n’as pas eu de chance sur ce coup.

— J’ai survécu.

Ils sourient tous les deux.

— On n’a même pas eu le temps de se présenter. Moi c’est Imo. Enfin, Imogène… et Bella ! Je veux dire qu’on m’appelle aussi Bella… parfois. Mais tu fais comme tu veux ! lâche-t-elle en éclatant de rire.

Puis elle ajoute :

— Je sais ! C’est beaucoup d’informations pour une fin de soirée, mais voilà, tu sais tout !

Il s’amuse de la voir s’éparpiller autant pour simplement lui partager son prénom. Elle rougit même légèrement, comme si elle était gênée de ne pas avoir donné une réponse claire à cette question des plus banales. Mais Logan trouve cela plutôt charmant et rafraîchissant. Il y devine une personnalité pétillante.

Il esquisse un sourire amusé et répond :

— Ravi Imogène ! Moi c’est Logan.

Il a choisi de l’appeler par son prénom. Il s’est dit que pour leurs présentations officielles, c’était plus approprié, marqué qu’il est par les restes de son éducation stricte et respectueuse. Quoi qu’il en soit, Logan espère qu’ils seront bientôt assez proches pour qu’il puisse l’appeler Bella. Ce surnom lui va si bien ! Son prénom aussi d’ailleurs… Original, comme elle, mais dans toute la beauté que peut prendre ce mot.

Il apprend ce même soir qu’elle est Française et qu’elle est venue s’installer à New York temporairement pour changer d’air et travailler.

Après quelques échanges, elle lui dit qu’elle doit rentrer, car elle se lève tôt le lendemain pour travailler à son poste d’assistante commerciale dans une agence de voyages.

— Tu seras là pour le Red Gala ? demande Imogène avant de filer.

Le Red Gala est l’événement le plus grandiose du mois d’avril ; toutes et tous veulent y participer. Les invités, des personnes des classes privilégiées de la ville, doivent s’habiller en rouge. La soirée s’organise sous forme de dîner avec une session de vente aux enchères destinée à lever des fonds pour aider les femmes de la ville en situation de précarité financière. Il est toujours ponctué d’un spectacle avec un artiste célèbre. On murmure que Bruno Mars sera présent cette année. Y travailler permet d’être aux premières loges du spectacle, et gratuitement en plus !

— Oui ! J’ai déjà confirmé.
            — Et toi ?

— Oui, je fais partie des élues. Je suis trop contente ! On se voit là-bas alors.

— Cool… À bientôt !

Puis elle s’éloigne toute souriante en lui faisant un signe de la main et en lui souhaitant une bonne nuit.

Ce soir-là, Logan est ailleurs quand il croise Ted en rentrant. Il lui demande machinalement :

— Comment s’est passée ta garde à l’hôpital aujourd’hui ?

Mais Logan n’écoute que d’une oreille sa réponse. Imogène prend toute la place dans sa tête.

Vivement que je la revoie ! pense-t-il avant de s’endormir, encore perturbé par toutes les émotions qu’il a ressenties ce soir.

Chapitre 3 — Imogène —  New York, avril 2007 — Première rencontre

Ce matin, le réveil est difficile. Hier soir, Imogène s’est couchée tard. Très tard. Une soirée improvisée avec ses colocataires à refaire le monde. Des moments d’amitié précieux.

Hier, comme souvent, ils ont créé mille projets, fait le tour du monde trois fois et beaucoup ri. Elle les adore. Avec eux, elle a appris à lâcher prise et à profiter pleinement de l’instant présent. Celle qui était tellement concentrée sur son projet qu’elle en oubliait parfois de s’amuser a compris grâce à eux qu’elle pouvait faire les deux. Travailler dur pour atteindre ses objectifs tout en s’amusant. Alors, dans la petite colocation du New Jersey, l’ambiance est toujours à la détente et la bonne humeur y est assez constante.

À cinq, le loyer est très raisonnable, ce qui permet à Imogène de réduire ses coûts au maximum. L’appartement n’est pas génial, il aurait besoin d’une bonne dose de rénovations, mais cela ne les dérange pas vraiment, même s’ils s’en plaignent de temps en temps. Des liens forts se sont formés entre eux dès le début et ils aiment être ensemble. La vie a bien fait les choses en les réunissant tous les cinq ici. En plus de vivre sous le même toit, ils sont très souvent de sortie.

Imogène s’est toujours dit qu’elle a eu de la chance de les rencontrer à son arrivée. Cela a vraiment aidé son intégration sociale à New York. Elle adore les avoir dans sa vie. Et par conséquent, cette année qu’elle passe à finaliser son projet, elle a choisi de la vivre à fond. C’est un peu la dernière année d’innocence avant son entrée à temps plein dans la vie professionnelle. Elle en profite, mais suit rigoureusement l’échéancier qu’elle s’est fixé pour sa galerie. Cela reste sa priorité et elle ne sort que si elle est à jour dans ses tâches du « Projet Galerie », comme elle l’appelle.

Il lui reste à peaufiner son plan d’affaires dans les moindres détails, notamment à étudier le marché immobilier parisien pour le connaître parfaitement lorsque viendra le moment de choisir son emplacement, et à accumuler la somme d’argent nécessaire qu’il lui manque pour ensuite obtenir son prêt. Elle s’informe aussi quotidiennement sur ce qui se passe sur la scène artistique dans le monde, et surtout ici, dans sa ville d’adoption provisoire.

D’ailleurs, son quartier de prédilection à New York, c’est Soho, avec ses galeries d’art sur chaque rue. Elle se dit que tisser dès maintenant des liens avec les galeries new-yorkaises et les artistes est excellent pour son avenir professionnel. Beaucoup connaissent déjà son projet et son réseau s’étend de plus en plus, à son grand plaisir. La passion qui l’anime quand elle parle de sa future galerie ne laisse personne insensible. Son énergie est telle que personne ne peut douter qu’elle ira jusqu’au bout.

Ce qu’elle fait à New York, Imogène aurait pu le faire en France, ce qui aurait peut-être été plus simple. Mais le voyage est toujours bénéfique selon elle : rien de tel pour sortir de sa zone de confort et repousser ses limites ! Son niveau d’anglais, qui était bon, est encore meilleur ; il avait besoin d’être dépoussiéré par la pratique. Et puis, vivre une année entière à New York, pour la Parisienne qu’elle est, c’est plutôt magique !

Ici, cette sportive assumée concilie deux emplois à temps partiel. Un poste d’assistante commerciale quelques heures par semaine dans une agence de voyages et un poste dans l’hôtellerie de luxe qui fonctionne par missions. Les horaires sont flexibles, mais dès qu’une mission entre et que cela n’interfère pas avec ses horaires à l’agence de voyages, elle l’accepte.

Imo aime travailler dans l’hôtellerie, car cela lui permet de s’aérer la tête et de découvrir de nombreux endroits magnifiques à New York auxquels elle n’aurait pas eu accès autrement. Elle fait aussi de belles rencontres au fil de ses missions.

****

Finalement levée, prête et en route pour sa journée, Imogène décide de faire une partie du chemin à pied pour rejoindre l’agence de voyages afin de prendre l’air. Elle a le temps si elle ne traîne pas en route. Tandis qu’elle marche dans Brooklyn, elle apprécie la caresse du vent printanier sur son visage, ce qui achève de la réveiller.

La petite agence de voyages est située dans un quartier populaire de Manhattan, un peu reculée de la frénésie perpétuelle de cette ville toujours éveillée. Son travail consiste à répondre aux demandes des futurs voyageurs, à part quelques cas parfois un peu compliqués ou pas toujours très agréables, elle aime ce poste. Il lui permet de s’évader dans son imaginaire avec les clients qu’elle guide pour leur aventure.

À deux pas de l’agence se trouve un petit parc, étonnamment calme, comme un petit sanctuaire de quiétude, où le son des oiseaux prend le dessus sur le brouhaha de la ville. Entouré d’arbres et étonnamment peu fréquenté, Imo y trouve souvent refuge pour se détendre après son travail, comme un petit rituel de transition pour couper avec ces heures en poste avant de poursuivre ses autres activités.

En fin d’après-midi, après une journée plutôt calme à l’agence, Imogène s’y assoit quelques minutes avec son sac à dos qui contient ses vêtements pour sa prochaine mission avec l’agence ; elle doit y être dans deux heures. Elle a même le temps de lire quelques pages de son livre pour se relaxer afin de se mettre en route vers son service du soir d’une durée de quatre heures. 

En début de soirée, dans le bus qui l’emmène vers le quartier chic de l’Upper East Side, Imogène se dit qu’elle a déjà hâte de finir pour rentrer dormir et rattraper la courte nuit de la veille.

Elle travaille dans un hôtel privé, ce soir. Ils sont une petite équipe, séparée dès le début en deux groupes : la cuisine et le service en salle.

De passage dans la cuisine pour récupérer quelques verres, Imogène aperçoit un garçon qu’elle n’a pas encore vu ce soir ni jamais croisé auparavant. Apparemment, il est de corvée de vaisselle ce soir. Le pauvre ! Ce n’est pas ce qu’il y a de plus sympa.

Avant d’aller récupérer ses verres, elle se penche vers lui.

— Salut, ça va ?

— Euh… salut.

Elle sourit de sa surprise, puis repart aussitôt, car elle est attendue en salle rapidement.

Lorsqu’elle y songe pendant son service, Imo s’aperçoit qu’elle a immédiatement senti une sensation de connexion profonde avec lui, alors qu’elle a à peine croisé son regard. C’est une rencontre inhabituelle. Elle s’est sentie attirée par lui et n’a pas pu résister à l’envie de l’approcher pour lui dire bonjour…

Pendant les temps morts du service, elle plaisante un peu avec Iza, son amie de mission, une Française elle aussi. Elle était venue vivre dans la Grosse Pomme pour une année sabbatique, mais cela faisait maintenant trois ans qu’elle habitait ici.

— Je me cherche, Imo, lui avait-elle confié un jour, et tant que je ne me serai pas trouvée, je préfère être ici, loin de la pression de ma famille qui se désole de ne rien me voir faire de concret de ma vie.

Iza et Imo essaient de se retrouver en mission ensemble le plus souvent possible, quand le bureau appelle l’une, elle négocie chaque fois pour que l’autre soit le prochain appel. C’est d’ailleurs devenu une habitude pour Erica et Mathilde, les deux agentes de planning. Après avoir donné les détails de la mission, elles poursuivent souvent en disant :

— Oui, ne t’inquiète pas, ta copine est la prochaine sur ma liste d’appels.

Après le service, le garçon du bac à vaisselle s’approche d’Imogène pour se présenter. Logan. Elle est captivée par son regard. Une profonde gentillesse en émane. Dans le chahut de l’après-service, entourés des odeurs de restes de nourriture délicieusement enivrante, ils ont l’air d’être seuls au monde, dans leur bulle, attirés l’un vers l’autre avec une envie réciproque de se connaître, sans trop comprendre ce qui est en train d’arriver.

Elle se présente à son tour, se mêlant un peu les pinceaux dans ses différents surnoms. Bizarrement, Imogène se sent déconcertée face à lui. Ce n’est pourtant pas une attirance romantique qu’elle ressent pour lui, mais c’est plus fort… Pas qu’il lui fasse perdre ses moyens, mais il y a en lui quelque chose qu’elle ne parvient pas à identifier et qui la trouble. Elle se sent légèrement tremblante à côté de lui. En discutant un peu, ils s’aperçoivent qu’ils sont tous les deux dans l’effectif du prestigieux Red Gala. Ils se reverront là-bas…

Elle le quitte un peu vite, car elle sait qu’Iza l’attend dehors en fumant sa cigarette, et parce qu’elle n’a pas envie de trop traîner afin d’être en forme demain. Elle la retrouve à quelques mètres de la sortie de service, accotée sur le mur près du local des poubelles.

— Une de plus dans les annales, sourit Iza.

Imogène lui donne un high five en guise de réponse, puis elles prennent le chemin du métro.

Ce soir-là, tombant de fatigue, elle raconte à Peyton, sa colocataire de chambre américaine, sa rencontre avec Logan.

— Il a l’air vraiment sympa.

— Sympa… mignon ? Un potentiel amoureux ?

— Non, je ne pense pas, je ne sais pas trop comment je peux expliquer ça. C’est encore trop frais. En fait, je ressens une profonde attirance envers lui, mais il ne me plaît pas de cette façon. Je ressens une belle énergie qui émane de lui. C’est curieux.

— Il est américain ?

— Oui, il est né dans le New Jersey, puis est venu s’installer ici, quand il est parti de chez ses parents. On s’est peu parlé. Mais je me sentais vraiment bien à ses côtés. Comme si je le connaissais depuis toujours…

— Tu vas sûrement le recroiser, tu pourras explorer plus.

— Oui, on se reverra bientôt en fait, il travaillera aussi pour le Red Gala.

Imogène s’endort souriante, dans ses pensées, convaincue qu’elle vient de faire une rencontre spéciale ce soir.

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